Fiasco FM, de Flynn Maria Bergmann

« Poèmes, 23x17cm, 128 pages » : c’est ainsi qu’est sous-titré le beau recueil publié par le Lausannois Flynn Maria Bergmann. Le pluriel indique qu’il y en a plus d’un, mais on lira tout aussi bien le texte de Bergmann d’une traite, comme un seul poème où chaque page contribue à façonner cette narration de l’absence à laquelle s’emploie l’artiste.

C’est en effet l’expérience de l’absence d’une femme aimée qui constitue la trame poétique du recueil. Pour la figurer, l’auteur convoque un langage fait d’images, de métaphores et de symboles, il en appelle aux objets du quotidien aussi bien qu’aux émotions et aux ressentis intimes. Surtout, l’artiste utilise de manière originale le papier et le livre pour eux-mêmes, en se jouant des conventions éditoriales (absence de pagination et de retours à la ligne, utilisation de polices de très grande taille, absence de titres des poèmes donnant une impression d’écriture au kilomètre, « à la Kerouac »). Car si le thème de l’absence de l’être aimé est un classique, depuis toujours, de l’écriture poétique, c’est bien dans son « remplissage » de la page que le poète-plasticien fait preuve d’une belle originalité : en ayant choisi un papier légèrement cartonné et un format se rapprochant du cahier de notes, l’auteur parvient à conférer un fort sentiment d’immédiateté et d’urgence à son travail (on pense ici à l’écriture automatique, chère aux surréalistes). En posant – peut-être devrait-on dire en jetant – son texte sans aucune fioritures sur la blancheur des pages, Bergmann lui confère une puissance stupéfiante : on flirte souvent avec le cri, le hurlement de désespoir. C’est dans la simplicité du dispositif qu’il faut chercher la source de son intensité.

Trois fleurs roses et blanches attendaient dans un vase trop grand de découvrir laquelle mourrait en premier. Par chance, elles se fanèrent au même rythme, très vite, laissant sur une petite table ronde un épais tapis de pétales ressemblant à un tas de cendres en train de refroidir. Parfois je contemple ces pétales que j’ai conservés au fond d’un tiroir et me demande ce qui nous serait arrivé si une de ces trois fleurs n’avait pas existé.

Il y a de la nostalgie dans cette « Fiasco FM », bande-son un peu grésillante d’un après-quelque-chose. A la lecture de ces poèmes, c’est bien l’image d’une radio que l’on chercherait à régler sans jamais vraiment y parvenir qui vient en tête : les chansons, les mélodies familières sont bien là, mais elles sont parasitées, un peu déformées, parfois jouées en même temps sur deux stations trop proches…  A peine les a-t-on reconnues que déjà l’instant de clarté disparaît, qu’elles deviennent inaudibles puis s’évanouissent dans le bruit de fond du quotidien.

Avec Fiasco FM, Flynn Maria Bergmann offre quelques magnifiques lignes sur l’absence, le regret, la nostalgie de ce qui a été et n’est plus (« j’aimais bien quand… », « je me souviens quand… »). Son cri est celui d’un homme qui croit en l’amour : il n’y a aucun cynisme dans ces mots, aucune froideur. Bergmann va à l’essentiel, et nous dit ce que souffrir peut signifier : en cela, son texte, assez loin de « l’ovni littéraire » que certains ont voulu voir, s’inscrit dans une longue tradition de la littérature de l’intime et du sentiment, une littérature ici exempte de toute niaiserie et profondément enracinée dans l’expérience humaine.

Flynn Maria Bergmann
Fiasco FM
Art & Fiction, 2013
Nombre de pages : non paginé.

L’auteur : Flynn Maria Bergmann est né en 1969. A la fois poète, sculpteur et peintre, il s’est formé aux arts visuels aux Etats-Unis. Il vit à Lausanne.

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