L’assassinat de Rudolf Schumacher, de Bastien Fournier

C’est un livre qui a provoqué quelques remous, pardon un petit buzz, parmi les coteaux ensoleillés et les paisibles bourgs justement évoqués par l’auteur : dans L’assassinant de Rudolf Schumacher, l’écrivain valaisan Bastien Fournier met en scène la mort, violente, d’un homme politique local portant catogan. On ne nous fera pas reproche de trop en dévoiler, puisque le décor est planté dès les premières pages :

Une odeur d’origan et de mozzarella s’échappait de la cuisine. Rudolf Schumacher saisir un gant de protection à un crochet, se rappela Mussolini, soupira, sortit la plaque du four et la posa sur le plan de travail. Il découpa la pizza en quatre morceaux qu’il arrosa d’huile piquante. Il mangea devant la télévision, s’étendit de tout son long sur le canapé et ferma les yeux. Il agaça son sexe qui derechef enfla, puis cessa de le toucher et le laissa tomber entre ses aines. Il manqua s’endormir à deux reprises. A deux reprises, les bruits du poste l’éveillèrent. Une troisième fois il s’assoupit puis émergea du sommeil. Le canon d’une arme était pointé droit sur lui.

L’énigme de la ressemblance entre Schumacher et un célèbre Conseiller d’Etat valaisan, leader d’un parti ultraconservateur, est rapidement résolue : il n’y a, bien entendu, aucun doute possible. Cet aspect (le seul, dirait-on, qui retient l’attention des journalistes culturels, comme si cela pouvait avoir la moindre importance… Mais peut-on en vouloir à l’auteur de chercher à ce qu’on parle de son livre?) étant réglé, nous pouvons nous intéresser au contenu du roman.

L’assassinat de Rudolf Schumacher est un policier de qualité. Le roman, de facture classique, commence par le meurtre; tout l’intérêt consistant ensuite, pour le lecteur, à chercher le coupable. La construction du récit est efficace, et l’on se prend rapidement au jeu : pistes, fausses pistes, complot politique: les amateurs du genre retrouveront avec plaisir tous les éléments d’un bon polar. Et lorsque les personnages et les lieux sont familiers, on tourne les pages avec d’autant plus de curiosité et d’intérêt.

Le personnage de l’enquêteur est attachant. Ici aussi, Bastien Fournier donne dans le classicisme : vieux flic, du genre tourmenté, qui mène sa barque en solitaire, en partie contre l’institution, en partie contre ses propres démons… Clichés ? Peut-être, mais s’il y a bien un genre où les clichés sont attendus, c’est bien le roman policier : pour le lecteur, ils sont autant de clins d’oeil, ils constituent des repères immuables, obligatoires peut-être, symboles de l’appartenance à une famille littéraire.
De Schumacher par contre, on ne saura que peu de choses, et c’est assez dommage. En cherchant à construire un personnage peut-être un peu moins caricatural, peut-être un peu plus traversé de doutes et de contradictions, peut-être un peu plus humain, un peu moins simplement haïssable, l’auteur aurait pu créer un « méchant » plus charismatique, moins artificiel, et donc plus intéressant… Soulignons toutefois le plaisir du lecteur à la découverte du portrait brossé par Bastien Fournier de Schumacher, homme médiocre et ambitieux, aussi opportuniste que mauvais poète ! On sent que l’auteur a pris son pied à se payer le grand chef ! Il y a un plaisir de la moquerie des puissants, une véritable jouissance, un peu coupable mais si délicieuse, à voir l’un des hommes politiques les plus influents du coin tourné en ridicule !

La grande force du policier écrit par Bastien Fournier réside dans le style d’écriture, superbe, à la fois travaillé et coulant, précis, très agréable à lire mais en même temps rigoureux. La quatrième de couverture mentionne « le pari de marier l’écriture poétique et la trame policière » : pari assurément gagné. Ce n’est peut-être pas le roman policier le plus original paru en Suisse romande dernièrement, mais cela pourrait être l’un des mieux écrit; le travail d’un esthète.

Si on regrette que l’auteur force parfois un peu le trait en évoquant fascisme et hordes de skinheads enragés (mais puisqu’il s’agit d’une fiction…), flirtant plus que nécessaire avec la fameuse Loi de Godwin, on retiendra du dernier roman de Bastien Fournier, outre le plaisir de l’écriture, une analyse intéressante et raisonnable des dérives d’une « démocratie médiatique » qui porte aux nues celui qui beugle le plus fort, celui qui offre au peuple les réponses et les boucs-émissaires qu’il attend… Là où roman policier et littérature engagée se rencontrent.

Bastien Fournier
L’assassinat de Rudolf Schumacher
Ed. de l’Aire, 2014, 157pp.

L’auteur:

Bastien Fournier est né à Sion le 28 mars 1981. Il est à ce jour l’auteur d’une demi-douzaine de romans et d’autant de pièces de théâtre. Outre ses activités littéraires, il enseigne le latin et le français et donne régulièrement des lectures de ses textes.

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